L’évaluation dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche : un chemin semé d’embuches

« Au moment où les universités s’engagent dans des alliances européennes et des diplômes européens, qu’il est question de leur évaluation, la suppression du Hcéres est le signe de l’impuissance à réformer et du défaut de projet collectif pour l’Université. »
— Christian-Lucien Martin, conseiller à France Universités, ancien chargé de mission au Hcéres

Dans ce texte fouillé et argumenté, l’auteur trace une perspective historique et européenne du principe d’évaluation (1/ L’évaluation au cœur du processus de Bologne), jusqu’à la création du Hcéres et ses fragilités (2/ En France, la création d'une instance indépendante d'évaluation qui reste fragile). A l’heure de la remise en cause de cette instance, il nous rappelle l’impératif d’une évaluation indépendante, consubstantielle aux politiques publiques, et fait des propositions pour la relégitimer (3/ Redonner du sens à l’évaluation). Dans une tentative de conclusion, l’auteur nous expose en quoi la suppression du Hcéres est à voir comme le signe de l’impuissance à réformer et du défaut de projet collectif pour l’Université (Pour conclure - temporairement).

Auteur

Christian-Lucien MARTIN, Conseiller à France universités, ancien chargé de mission coordination des évaluations au Hcéres

Ancien élève de l’ENA (1997-1999), Christian- Lucien Martin dispose d’une expertise particulière sur les questions d’autonomie et de décentralisation des établissements relevant de l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, les sports, et la Culture, acquise dans différentes fonctions à la fois au sein des ministères de tutelles et des établissements publics (Directeur Général des Services des universités de Lille 3 puis de Paris 1; Secrétaire général du Comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur; Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture).

Au cours de sa carrière, il a notamment mis en place la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (2001), piloté l’universitarisation des écoles nationales supérieures d’architecture, ainsi que la mise en place d’un corps spécifique d’enseignants-chercheurs (ministère de la Culture).


Le principe d’évaluation indépendante est indissociable de la qualité de la science et de l’enseignement qui y est associé et nécessite pour cela des procédures qui devraient permettre une forme d’amélioration continue de la formation, de la recherche et de leur organisation.

Pour les politiques publiques, il s’agit du contrôle du bon usage des deniers publics et des agents publics eux-mêmes qui doivent « rendre compte de leur administration » - une responsabilité que se partagent le Parlement et les inspections générales avec l’appui de la Cour des comptes. Cette responsabilité a précédé l’évaluation qui, en France, s’impose lentement à partir des années 70 avant de s’imposer comme une exigence gouvernementale en 1989[1], avec ses références terminologiques à la pertinence, la cohérence interne et externe, l’efficacité et l’efficience, la durabilité (des résultats), ou la capacité building[2].

Dès les années 90, la Commission européenne a intégré l’évaluation parmi les conditions de financements des politiques communautaires.

Dans ce contexte européen et national, l’évaluation s’empare de l’enseignement supérieur en soulevant l’enthousiasme des prosélytes qui y décèlent la vertu moderne du pilotage et l’ire des contempteurs qui y discernent le vice de la marchandisation introduit dans un service public. En 1999, la Déclaration de Bologne[3] en appelle à l’évaluation pour garantir la qualité des diplômes, et favoriser en conséquence la mobilité des étudiants. L’évaluation devient à la fois un principe proclamé de l’enseignement supérieur, et un levier d’action pour rendre compatibles les systèmes nationaux de formation.

Aussi puissants et désirables que soient les enjeux généraux qu’on lui assigne, l’évaluation ne fait pas l’objet d’une adhésion d’office, dès lors que la déclamation fait place à la mise en œuvre avec une définition plus précise des cibles et des procédures. Lorsque les objectifs sont à la fois tentaculaires et indéterminés et que les procédures prennent le pas sur le sens, le rejet est massif.

Pour contraignante qu’elle soit, il faut la rendre utile, et trouver la voie de son acceptabilité. L’hypothèse inverse a conduit en France à la tentation législative de suppression du Haut conseil pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), résultat de la coalition radicale des mécontentements et du contexte politique et budgétaire.

1/ L’évaluation au coeur du processus de Bologne

1.1/ Au service de la mobilité et de la coopération

En 1998, la recommandation du conseil du 24 septembre[4] invite les États membres à mettre en place des  « systèmes transparents d’évaluation de la qualité et ce, dans le but :

  • de préserver la qualité de l’enseignement supérieur dans les conditions économiques, sociales et culturelles propres à leur pays tout en tenant compte de la dimension européenne et d’un monde évoluant rapidement ;

  • d’encourager et d’aider les établissements d’enseignement supérieur à s’appuyer sur des mesures appropriées, et notamment sur l’évaluation, pour améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, ainsi que de la formation à la recherche, autre domaine important de leur mission ;

  • de stimuler les échanges mutuels d’information concernant la qualité et l’évaluation de celle-ci sur le plan communautaire et mondial et d’encourager la coopération entre les établissements d’enseignement supérieur dans ce domaine [...] ».

Le 19 juin 1999, vingt-neuf ministres de l’enseignement supérieur signent la Déclaration de Bologne : ils s’engagent à créer d’un espace européen de l’enseignement supérieur (EEES). Pour la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs, et la coopération, l’évaluation - un des axes de Bologne » - est l’ « assurance qualité » des formations supérieures. Elle doit garantir la valeur du titre ou du diplôme, leur donner du crédit, malgré les différences profondes entre les systèmes éducatifs nationaux.

Le 19 mai 2001 à Prague, les ministres invitent les universités, les instances nationales d’évaluation et le réseau ENQA qu’elles constituent[5], à construire un cadre de référence pour la qualité de l’enseignement supérieur. A Bergen en Norvège, les 19 et 20 mai 2005 [6] , ils adoptent les références et lignes d’orientation pour la garantie de la qualité dans l’Espace Européen d’Enseignement Supérieur. Ces « European Standard Guidelines » (ESG) seront réaffirmés lors de la conférence d’Erevan en Arménie les 14 et 15 mai 2015 [7]. Les agences d’évaluation sont soumises également à évaluation [8] au regard de ces critères pour figurer sur le registre officiel européen EQAR [9].

1.2/ Les références et lignes directrices

  • Les principes généraux

Les ESG sont fondés sur une ambition politique qui fait l’objet d’une  « Préface » qui affirme les « aspirations européennes à fonder une société de la connaissance » et la place de « l’enseignement supérieur comme « élément essentiel du développement socioéconomique et culturel».

Entre idéalisme et marché unique, l’évaluation doit garantir la capacité de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, à favoriser « la cohésion sociale, la croissance économique et la compétitivité au niveau mondial et à répondre « à la demande croissante d’aptitudes et de compétences ».  

Les références et lignes directrices pour l’assurance qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur fournissent ainsi un cadre pour l’évaluation de l’enseignement supérieur [10]». Comme l’enseignement supérieur relève de la compétence des Etats [11], il s’agit d’orientations pour la qualité plutôt que de normes « prescriptives.  Elles invitent également à s’intéresser à « l’environnement d’apprentissage et aux liens pertinents avec la recherche et l’innovation « , - des domaines où des démarches qualité spécifiques peuvent être mises en place.

Parmi ses promesses, l’assurance qualité respecte la diversité des systèmes éducatifs ; « elle tient compte des besoins et des attentes des étudiants, de toutes les autres parties prenantes et de la société. Elle incombe en premier lieu aux « institutions d’enseignement supérieur » , en clair aux établissements qui sont les responsables en premier ressort de la qualité de leur offre de formation et de services.

  • Quelques lignes saillantes

Les ESG distinguent l’assurance qualité interne (Partie 1), de la compétence des établissements, primordiale ; l’assurance qualité externe (Partie 2) qui est une évaluation par les pairs ; et les agences d’évaluation (Partie 3) dotées d’une reconnaissance officielle et de l’autonomie.

  • Les institutions d’enseignement supérieur (écoles, facultés, universités) disposent d’une politique d’assurance qualité faisant partie intégrante de leur pilotage stratégique.

  • L’assurance qualité externe prend en compte l’efficacité des processus d’assurance qualité interne ; elle s’appuie sur une auto-évaluation ; elle comprend en principe une visite sur site ; elle donne lieu à un rapport résultant de l’évaluation externe.

  • Les modalités d’évaluation sont formalisées et rendues publiques, les résultats des évaluations sont encadrés par le principe du contradictoire.

  • L’évaluation par les pairs, qui ne sont pas exclusivement des personnalités académiques, est menée par des groupes d’experts externes comprenant des étudiants et des employeurs ou des professionnels voire des représentants d’institution.

  • Les agences sont indépendantes et agissent de manière autonome. Elles ont la pleine responsabilité de leur fonctionnement et des résultats de leurs activités, sans l’influence de tierces parties ; elles disposent de ressources adéquates et appropriées, humaines et financières, pour mener à bien leurs activités.

  • Elles se soumettent à des dispositifs d’assurance qualité internes et externe (au moins tous les cinq ans).

2/ En France, la création d'une instance indépendante d'évaluation qui reste fragile

2.1/ Une instance avec les caractéristiques de l’indépendance

Créé par la loi Fioraso n° 2013-660 du 22 juillet 2013 (article 90), le Haut comité pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) prend la suite des autres instances d’évaluation, CNE en 1984 [12] et AERES en 2006 [13]. Les dispositions légales régissant l’instance sont inscrites dans le code de la recherche L114-3-1 à L114-3-7.

La loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (art. 16) a consolidé son statut juridique d’autorité administrative indépendante en 2013 (AAI), puis d’autorité publique indépendante (API) en 2020 [14], et renforce son périmètre d’intervention.

  • En tant qu’API, le Hcéres accède à une prééminence en droit sur les autres instances nationales d’évaluation qu’il a mission de coordonner [15]; la loi de finances lui octroie de moyens budgétaires conséquents pour l’organisation de ses missions [16] (mais on ignore comment l’évaluateur est lui-même évalué en termes de dépenses).

  • Sa compétence en matière d’évaluation est d’ordre général : formation, recherche, organisation ; établissements d’enseignement supérieur publics et organismes de recherche [17] quels que soient les secteurs de recherche et de formation.

  • Il a compétence pour évaluer la contribution d’un établissement privé non lucratif au service public de l’enseignement supérieur (EESPIG, article L 732-1 du code de l’éducation [18]).

  • Il peut aussi valider les procédures d’évaluation de toute entité constituée pour exercer une mission d’évaluation, ce qui en fait une instance accréditrice.

La loi prévoit également une articulation entre l’évaluation et la décision ministérielle en matière d’accréditation [19] et de contrat pluriannuel [20]. Cette articulation à l’allure du bon sens et de la bonne administration se retourne contre l’un et l’autre dès lors qu’elle débouche sur les travers uniformisateurs de l’égalitarisme bureaucratique et ne se fait pas toujours dans le bon sens laissant rarement la place à une évaluation ex-post.

2.2/ Des travers culturels

  • Le mille-feuilles administratif

Lors de la création du Hcéres, pour des raisons diverses, il n’a pas été tenté d’organiser clairement la coexistence des instances nationales d’évaluation sauf au travers d’une compétence vague « coordination des procédures » qui en appelle aux hommes et femmes de bonne volonté [21]. Antérieure au Hcéres ou à l’AERES , la Commission des titres d’ingénieur est née d’une loi du 10 juillet 1934, elle « accrédite » les titres d’ingénieur [22] et a acquis une légitimité internationale au sein de l’ENQA, qui accorde une place notable aux organismes d’assurance-qualité du secteur des formations technologiques. Plus récente, la CEFDG issue du décret n° 2001-295 du 4 avril 2001 [23] occupe le champ spécifique des « Business schools » privées dont les diplômes confèrent des grades universitaires.

  • L’opposition, caricaturée, entre l’académique et le professionnel

Par sa composition plutôt « académique » le Collège du Hcéres, se distingue de la CTI ou de la CEFDG qui organisent un « paritarisme » entre la représentation universitaire et scientifique et le secteur socio- économique. Quand la répartition des rôles et la subsidiarité font défaut, ces différences fondamentales alimentent des procès réciproques en insuffisance et illégitimité.

  • La superposition de différents types d’évaluation

En matière d’évaluation, le « trop » est plus habituel que le « trop peu ».  Différencier le contrôle, l’audit, l’évaluation, l’accréditation, voire la labellisation vaut bien mieux en théorie qu’en pratique. Les organes chargés de ces responsabilités distinctes ne délimitent pas leurs interventions en dressant des frontières étanches. La Cour des comptes, comme les inspections générales, passent aisément du contrôle à l’analyse des politiques publiques et au jugement sur leur pertinence. La redondance des évaluations est inévitable, elle porte sur les mêmes objets dont s’empare pareillement la représentation nationale dans ses auditions, commissions d’enquête et ses « enquêtes flash ». Dans ce contexte surabondant, l’évaluation par les pairs a sa raison d’être dans le domaine scientifique. et elle peut être légitimement un des aspects de la liberté académique et une des marques de l’autonomie des universités. Les codes de cette évaluation sont d’autant plus exigeants qu’elle doit s’emparer des questions d’éthique pour éviter les écueils du corporatisme, de la complaisance ou de la concurrence, et de toute forme de conflit d’intérêt. Dans certains cas, comme pour les écoles d’art et d’architecture du ministère de la Culture, des inspecteurs généraux du domaine participent à l’évaluation « externe ». Les ESG n’apportent pas de clarification suffisante, car il étendent la catégorie de «pairs» aux usagers et partenaires de l’établissement.

  • La mise en œuvre de principes de service public privilégiant l’uniformité

Le Hcéres pratique l’égalité de traitement entre ses sujets d’évaluation. Les organes publics ou participant au service public de l’enseignement supérieur (art. L.111-5, L.121-1, L.123-1) sont soumis à des référentiels, croisés puis intégrés, conduisant une cartographie à l’échelle 1 sur 1. La démesure des tâches précises à effectuer, - dans les calendriers contraints des vagues, transforme l’instance en machine à évaluer, avec sa bureaucratie adaptée [24].  En outre, le principe de gratuité, fait que l’évaluation n’est pas intégrée comme une charge à inclure dans le fonctionnement quotidien de l’établissement avec le risque de déresponsabilisation qu’il en résulte.

  • Le maintien du cordon ombilical entre le Hcéres et l’Etat

L’articulation de temps de l’évaluation et du rythme ministériel de l’accréditation de la contractualisation affecte par sa rigueur la capacité de l’agence d’évaluation à exercer ses responsabilités en toute indépendance, sans être mécaniquement au service de l’action publique. De plus, les pouvoirs publics surenchérissent par l’accumulation de dispositions législatives, réglementaires ou contractuelles, indispensables pour s’adapter à l’air du temps et dont il est entendu qu’elles doivent faire l’objet d’évaluations. L’Etat intervient aussi par sa carence lorsqu’il laisse l’instance sans direction, pendant des intérims qui s’éternisent [25], faute d’anticipation ou faute d’intérêt ou du fait de sa propre complexité.

2.3/ Il en résulte une fragilité et des crises de confiance récurrentes

En 2013, l’AERES a succombé de la contestation des procédures et des finalités de l’évaluation de la recherche. En 2025, le Hcéres, qui l’a remplacée, est ébranlé par la mise en cause de l’évaluation des formations, jugée pointilliste dans la méthode, maladroite dans son expression et inadaptée sur le fond. Le 11 avril 2025 [26], l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi de  « simplification de la vie économique », a soutenu les amendements du Groupe Ecologiste et Social portant le suppression du Hcéres, contre l’avis du Gouvernement [27]. Le sort de l’instance est désormais suspendu à la convocation à l’automne 2025 de la commission mixte paritaire.

Les arguments des députés favorables à la suppression du Hcéres ont été amplement développés dans les médias, en premier lieu dans L’Humanité du 16 février 2025 [28], et dans les réseaux sociaux spécialisés [29] hostiles aux évolutions jugées néolibérales de l’enseignement supérieur depuis Bologne en 1999, comme la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités ou l’ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à aux établissements expérimentaux. Et plus encore, la transformation du paysage de l’enseignement supérieur, avec l’évaluation comme symbole, parait attentatoire à la liberté académique. Le projet de loi de simplification de la vie économique dans un contexte d’endettement public massif permet d’associer à la lutte contre l’hydre bureaucratique les économies attendues de la réduction du nombre d’agences dans l’Etat.

3/ Redonner du sens à l'évaluation

3.1/ L’évaluation est devenue consubstantielle des politiques publiques

  • Le principe d’évaluation est entré dans la Constitution  

Les bases juridiques du contrôle remontent à l’article 14 de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et à la séparation des pouvoirs dans les démocraties parlementaires.  Celles de l’évaluation des politiques publiques sont plus récentes, mais ont été intégrées dans l’Etat de droit.

En France, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 introduit parmi les missions du Parlement une référence expresse à l’évaluation [30]. Cette compétence fait suite au droit à l’expérimentation constitutionalisé le 28 mars 2003 [31]. Ces deux dispositions nouvelles témoignent de la prise de la volonté d’éclairer la décision publique dans un environnement complexe.

  • L’évaluation est intégrée au fonctionnement de l’Etat et des institutions publiques  

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 est fondée sur l’exigence d’évaluation.

Dans une perspective  budgétaire, mais pas uniquement, la rationalisation de l’action publique suppose de vérifier : 1° l’atteinte des objectifs (les effets constatés sont-ils conformes aux objectifs ?) ; 2° la pertinence (les objectifs sont-ils adaptés à la réalité sociale) ; 3° la cohérence (la mise en œuvre de la politique et les moyens sont-ils en adéquation avec les objectifs ?) ; 4° l’efficacité (les effets sont-ils à la hauteur des objectifs ?) ; 5° l’efficience (les effets sont-ils à la hauteur des coûts ?). Dans ces conditions, « la justification au premier euro » consiste simplement à expliciter, catégorie par catégorie, ce qui est financé par la mission, le programme et l'action [32].

  • La question des organes d’évaluation multiples

La justification de l’évaluation par des arguments théoriques, juridiques ou de bon sens, ne vaut pas pour les organes chargés d’évaluation dont la pertinence doit aussi être examinée.

La question de la coordination des types d’évaluation et de la spécificité des organismes dédiés pourrait être soulevée avant de passer sans y répondre, fatalement, à d’autres interrogations. En matière d’enseignement supérieur, quelles sont les valeurs ajoutées respectives du Hcéres quand il évalue la dimension budgétaire d’une université et l’activité de son service communication ou de la Cour des Comptes quand elle s’intéresse à l’orientation [33] ou à la réussite en premier cycle [34] ?  Et quels créneaux occupent les inspections générales entre les approches macro-économiques et les études de détail ?

Pour la recherche, dont l’évaluation mobilise des compétences rares, les doublonnages font l’objet de rejet massif alors que des démarches qualité enserrent déjà les appels à projets nationaux et européens qui servent à sélectionner les meilleurs candidats.  

2.2/ Relégitimer l’évaluation ?

  • Circonscrire les objectifs

À l’heure des classements internationaux ou « rankings» d’universités dont on connaît les biais et les travers, l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche doit porter des objectifs généraux plus ambitieux d’excellence, de performance et de visibilité internationale des établissements. Une évaluation n’est pas une « hiérarchisation » d’opérateurs sur un marché international de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au niveau national, les instances d’évaluation vérifient, plus précisément, la manière dont les opérateurs effectuent leurs multiples missions de formation, de recherche, d'orientation, d'insertion professionnelle, d’éducation citoyenne, de cohésion sociale, de parité, d’inclusion, de développement durable, d’attractivité territoriale, ou de promotion de la francophonie (art. L123-2 du code de l’éducation).

De l’infinité évasive des objectifs au pointillisme, l’extension du champ de l’évaluation ne rencontre de limites ni grandes ni petites.  Il en résulte des tentatives d’évaluation exhaustives, - des exercices de narration littéraire pluridimensionnelle, déposés sur des étagères numériques, qui ne servent d’appui ni aux politiques publiques de l’Etat ou ni aux établissements. 

  • Revoir les méthodes en distinguant « assurance qualité interne » et « évaluation externe »

 Au sein des établissements l’autoévaluation et l’évaluation externe permettent aux communautés d’enseignement supérieur et de recherche, et à leur direction de prendre périodiquement le temps du recul et de la prospective.  

Comme le recommandent les ESG, l’évaluation externe a vocation à conforter les processus d’assurance ou de garantie qualité qui sont nécessaires au pilotage de l’établissement et lui permettent d’opérer les infléchissements utiles en toute autonomie.

  •  Oser l’évaluation stratégique et indépendante

L’instance d’évaluation doit rompre avec l’exhaustivité et les micro-évaluations, en mettant en œuvre au besoin d’autres modes de recollement d’informations comme le sondage ou l’échantillonnage. Mais au-delà de ce changement important, c’est la posture du Ministère qui doit évoluer en accordant sa confiance aux établissements et en cessant de concevoir l’agence d’évaluation comme son instrument pour la mise en l’état de sa décision unilatérale, qu’il s’agisse d’accréditation ou de contractualisation.

L’évaluation de l’établissement doit être déconnectée des calendriers ministériels, non pour les contredire mais pour ne pas les subir. Elle doit porter sur la stratégie et à 360°, afin d’embrasser à la fois l’ensemble des missions et mesurer le niveau des engagements des parties, dont l’Etat partenaire principal.

Pour conclure temporairement

Du Charybde de l’évaluation surabondante au Scylla de la suppression du Hcéres, le chemin de confiance devra poser les fondamentaux et clarifier les méthodes.

Ainsi, les compétences de l’instance d’évaluation doivent être revues dans la loi pour stabiliser l’hypothèse d’une évaluation recentrée sur l’essentiel et rendue efficace... en formulant le vœu que l’inventivité administrative ne produira pas des ajustements juridiques complémentaires pour mieux changer qu’afin que rien ne change dans un dialogue social apaisé.

Au moment où les universités s’engagent dans des alliances européennes et des diplômes européens, qu’il est question de leur évaluation, la suppression du Hcéres est le signe de l’impuissance à réformer et du défaut de projet collectif pour l’Université.

Références

[1] Circulaire Michel Rocard, Premier ministre, aux membres du gouvernement, parue au Journal officiel le 24 février 1989 et lettre envoyée personnellement aux ministres et secrétaires d'Etat le 3 août 1989, sur le renouveau du service public : un devoir d'évaluation des politiques publiques grâce à la réflexion du Commissariat général au Plan, à un développement d'actions -expérimentales et d'études sur l'évaluation, et à l'utilisation d'organismes publics d'évaluation comme des instances d'audit permanentes (Cour des Comptes, corps d'inspection et de contrôle).

Décret n° 90-82 du 22 janvier 1990 relatif à l’évaluation des politiques publiques.

Elle a  a «pour objet de rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique et d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés » (art. 1er)

[2] Capacité building traduit parfois par «capacitance» : comment les capacités et les compétences des opérateurs s’améliorent au fur et à mesure de la mise en œuvre des actions.

[3] Déclaration de Bologne du 19 juin 1999 https://ehea.info/media.ehea.info/file/Ministerial_conferences/03/2/1999_Bologna_Declaration_French_553032.pdf

[4] Recommandation du Conseil du 24 septembre 1998 sur la coopération européenne visant à la garantie de la qualité dans l’enseignement supérieur (98/561/CE). https://eur-lex.europ2a.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A31998H0561

[5] ENQA a été créée en 2000 sous le nom de Réseau européen pour l'assurance qualité dans l'enseignement supérieur afin de promouvoir la coopération européenne dans ce domaine - https://www.enqa.eu/about-enqa/

[6] Communiqué de Bergen https://ehea.info/media.ehea.info/file/2005_Bergen/52/9/2005_Bergen_Communique_French_580529.pdf 

[7] ESG - https://www.enqa.eu/esg-standards-and-guidelines-for-quality-assurance-in-the-european-higher-education-area/

[8] Communiqué de Berlin du19 septembre 2003. https://ehea.info/media.ehea.info/file/2003_Berlin/28/5/2003_Berlin_Communique_French_577285.pdf

[9] Les ministres à Londres les 17 et 18  mai 2007 sollicitent ENQA, EUA (association européenne des universités, EURASHE pour les établissm3enst technologiques)  et ESU (association des étudiants)  pour mettre en place un registre européen 2des agences qualité (EQAR). Le Registre est effectif dès 2008. https://www.eqar.eu/

[10] ESG – Standards and Guidelines for Quality Assurance in the European Higher Education Aera  - Traduction en langue française , texte approuvé à Erevan en mai 2015 - https://www.calameo.com/hceres/read/004101964280955a84d05 ;

https://www.cti-commission.fr/wp-content/uploads/2015/06/esg_in_french_by_re_seau_francophone_des_agencies_qualite_.pdf.

« Assurance qualité » est la traduction littérale de l’anglais « quality assurance » ; dans la version de 2005 des ESG, l’expression utilisée était  « management de la qualité ».

[11] Le Traité de Lisbonne distingue les compétence exclusives, les compétences partagées et les *compétence d’appui de l’Union. L’Union dispose en matière d’enseignement supérieur d’une seule compétence d’appui ( article 165 TFUE).  La« recherche » fait partie des compétences partagées.

[12] CNE, créé par l’article 65 de la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur « - Le Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel procède à l'évaluation des réalisations dans l'accomplissement des missions définies à l'article 4. En liaison avec les organismes chargés d'élaborer et d'appliquer la politique de formation et de recherche, il évalue les établissements et apprécie les résultats des contrats passés par eux. Il dispose d'un pouvoir d'investigation sur pièces et sur place. Il recommande les mesures propres à améliorer le fonctionnement des établissements ainsi que l'efficacité de l'enseignement et de la recherche, notamment au regard de la carte des formations supérieures et des conditions d'accès et d'orientation des étudiants. Il établit et publie périodiquement un rapport sur son activité et sur l'état de l'enseignement supérieur et de la recherche. Celui-ci est transmis au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche.

[13] AERES, créée par l’art. 16 de la loi de programme n° 2006-450 du 18 avril 2006 pour la recherche (art. L. 329-1 du code de la recherche) ; Critiques relatives à l’AERES lors des Assises nationales de l’ESR 2012 : « Autant il est ressorti des Assises un consensus sur la nécessité de l’évaluation et de ses grands principes, autant de graves dissensions sont apparues sur le fonctionnement de l'AERES » (Jean-Yves Le DEAUT). Cf. Jean-Yves Le Déaut (député), rapport au Premier ministre de janvier 2013 : « Refonder l’université, dynamiser la recherche : mieux coopérer pour réussir ».

[14] Les API ont la personnalité morale.   Pour le Hcéres, par la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur

[15] Décret n° 2022-225 du 22 février 2022 pris pour l'application de l'article L. 114-3-1 du code de la recherche relatif à la coordination des instances d'évaluation nationales par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

[16] Décret n° 2021-1572 du 3 décembre 2021 relatif au respect des exigences de l'intégrité scientifique par les établissements publics contribuant au service public de la recherche et les fondations reconnues d'utilité publique ayant pour activité principale la recherche publique

Budget initial 2025 (délibération du Collège 2025-1-04):  128 ETP sous plafond Etat ; 22,9 millions de crédits de paiement 

Capacité d’analyse avec l’OST, groupement d’intérêt public en 1990, intégré au Hcéres en tant que département en 2015

[17] Le 1° de l’’article L114-3-1 du code de la recherche vise les établissements d'enseignement supérieur et leurs regroupements, définis à l'article L. 718-3 du code de l'éducation.

[18] « Des établissements d'enseignement supérieur privés à but non lucratif, concourant aux missions de service public de l'enseignement supérieur telles que définies par le chapitre III du titre II du livre Ier de la première partie, peuvent, à leur demande, être reconnus par l'Etat en tant qu'établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général, par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur, après avis du comité consultatif pour l'enseignement supérieur privé.
« Ne peuvent obtenir la qualification d'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général que les établissements d'enseignement supérieur privés à but non lucratif créés par des associations ou des fondations reconnues d'utilité publique ou des syndicats professionnels au sens de l'article L. 2131-1 du code du travail.
« Un établissement bénéficie de la qualification d'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général pour la durée du contrat pluriannuel mentionné à l'article L. 732-2 du présent code. Cette qualification peut, après une évaluation nationale, être renouvelée par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur, après avis du comité consultatif pour l'enseignement supérieur privé. »

[19]Accréditation (art. L613-1 du code de l’éducation ) :  «  Un établissement est accrédité pour la durée du contrat pluriannuel conclu avec l'Etat. L'accréditation peut, après une évaluation nationale, être renouvelée par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur, après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. « 

[20] Contractualisation (art. 711-1 du code d l’éducation ) : « Les établissements rendent compte de l'exécution de leurs engagements et de l'atteinte des objectifs prévus dans le contrat au moins une fois tous les deux ans. »
« L'exécution du contrat fait l'objet d'une évaluation. L'Etat tient compte des résultats de l'évaluation pour déterminer les engagements financiers qu'il prend envers l'établissement dans le cadre du contrat pluriannuel. ;

[21] Décret n° 2022-225 du 22 février 2022 pris pour l'application de l'article L. 114-3-1 du code de la recherche relatif à la coordination des instances d'évaluation nationales par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

[22] En France, « L'Etat a le monopole de la collation des grades et des titres universitaire  (art. 613- 1). L’accréditation est un acte juridique de l’Etat , mais surtout de nature formelle car la préparation de la décision d’ accréditation revient à la CTI. Ce même raisonnement s’applique à la CEFDG.

[23] La commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion

[24] 3 départements d’évaluation pour les formations, la recherche, les établissements, auxquels s’ajoute un *département pour les organismes de recherche

[25] Intérim de  Nelly Dupin au départ de Michel Cosnard  le 31/10/2019 ; intérim de Stéphane Le Bouler après le départ de Thierry Coulhon le 10/10/2024,  jusqu’à la nomination de Coralie Chevallier  du 3 mars 2025.

[26] Lors du PLF 2025,  la commission des finances de l’Assemblée nationale examinant les crédits de la Mires inscrits au PLF 2025, a adopté à la demande des députés du groupe écologiste et social et LFI le 29/10/2024 un amendement supprimant la totalité des subventions allouées au Hcéres soit 24,2 M€. La censure du Gouvernement Michel Barnier a mis fin à cette première tentative de suppression du Hcéres par l’Assemblée nationale issue des élections des 30 et 7 juillet 2024 après la dissolution du 9 juin 2024.

[27] Le ministre chargé de l’ESR Philippe Baptiste a dénoncé, en séance, « un acte de guerre contre les libertés académiques »,- une alliance politique LFI et RN qui prépare la soumission de l’ESR au pouvoir politique (https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/communique-de-presse

[28] Le Pr Stéphane Bonnery de Paris 8 (sciences de l’éducation) considère que les résultats des évaluations des formations ont dénoncé une attaque en règle contre l’université de masse et démocratique. Ces « résultats » étaient encore au stade du « contradictoire », mais leur publication a eu un effet déclencheur.

[29] Nombreuses tribunes,  sont publiées dans des think tanks : AEC media compare le Hcéres à « un mari toxique » (11 mars 2025, par Lionel Ruffel, théoricien en littérature) ; ACADEMIA Hypothèses titre : Hcéres : « sifflons la fin de la partie » (18 mars 2025), etc.

[30] Le nouvel article 24 de la Constitution dispose que : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. 

[31] Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.  D’une part, l’article 37-1 dispose que la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. D’autre part, l’article 72 prévoit, en son quatrième alinéa, des expérimentations permettant, sur habilitation de la loi ou du règlement, aux collectivités territoriales et à leurs groupements de déroger, pour un objet et une durée limités, à des normes législatives ou réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences.

[32] Repères: Politique,  procédure gestion budgétaires -

https://www.budget.gouv.fr/reperes/lolf/articles/loi-organique-relative-aux-lois

https://www.fipeco.fr/commentaire/La%20LOLF%20et%20la%20revue%20des%20d%C3%A9penses%20publiques

[33] Cour des Comptes « Accès à l’enseignement supérieur : premier bilan de la loi orientation et réussite des étudiants » Février 2020

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/acces-lenseignement-superieur-premier-bilan-de-la-loi-orientation-et-reussite-des

[34] Cour des Comptes-  Le rapport annuel 2025  « la prévention de l’échec  en premier cycle universitaire » https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2025

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